Chapitre 22

 

 

Je tournai en rond dans la chambre d’amis pendant environ une heure. J’aurais dû probablement profiter de cette période d’inactivité forcée pour dormir un peu mais je ne pensais pas avoir de grandes chances de m’endormir. Je commençais à avoir faim et mon estomac protestait d’avoir été privé de petit déjeuner et de déjeuner, quand j’entendis des pas dans le couloir. Je sentis l’odeur de la nourriture et mon estomac produisit un gargouillement qui aurait été gênant si j’avais pensé qu’on pouvait l’entendre. Je m’attendais à voir Dominic et j’eus une envie soudaine de me précipiter sur la porte pour essayer de m’échapper, dans un moment de panique. Mais Adam pouvait très bien se trouver au rez-de-chaussée et je me ferais botter le train si je tentais quoi que ce soit.

La première chose que je vis quand la porte s’ouvrit fut le dos de Dominic. Il avait les mains occupées et avait poussé la porte avec ses fesses. Quand il se tourna vers moi, il resta la tête baissée et je crus tout d’abord qu’il gardait un œil sur le bol de soupe posé sur le plateau qu’il portait. Puis il se tourna pour déposer le plateau sur le bureau et un rayon de lumière éclaira le côté de son visage.

J’eus le souffle coupé en découvrant son œil au beurre noir. Sa pomme d’Adam fit l’ascenseur et il soupira en affrontant mon regard. Les bras croisés sur le torse, son langage corporel hurlait qu’on le laisse tranquille. Je doute qu’il ait été surpris que je n’en tienne pas compte.

— Comment tu t’es fait ce coquard ? demandai-je, même si je savais en voyant son embarras qui était le coupable.

Il grimaça.

— Adam. Et, non, il ne l’a pas fait exprès, alors arrête de me regarder comme si j’étais une femme battue.

J’essayai d’imaginer Adam s’écarter pour assener un coup de poing à Dominic et je n’y parvins pas. Je pris conscience avec un peu de surprise qu’en dépit de la personnalité agressive et dominatrice d’Adam, je ne les avais jamais vus se disputer. Oh, cela leur arrivait de se ronchonner dessus de temps à autre, mais c’était sur un ton affectueux et il était évident qu’ils ne pensaient pas ce qu’ils disaient. Dominic n’avait rien d’un lâche, non plus. Il tenait tête à Adam même quand je n’aurais pas osé.

En y réfléchissant – et c’était vraiment une réflexion effrayante leur relation était peut-être la relation la plus romantique que je connaissais.

Les épaules de Dominic étaient tendues, et en voyant sa mâchoire, je devinai qu’il serrait les dents. Tout en lui montrait qu’il était sur la défensive. Je compris qu’il se préparait à une dispute. Je me soulageai de ma propre tension en lui adressant un sourire contrit.

— Relax, Dom. Je te crois.

Il cligna des yeux de surprise. Mon estomac me rappelant encore que j’avais faim et qu’il y avait de la nourriture tout près, je décidai de garder mes questions pour plus tard. Je m’assis donc au bureau et plongeai dans le bol de soupe. Je poussai un gémissement de plaisir sensuel dès la première cuillerée. Je n’avais jamais été une grande fan de minestrone, mais désormais je comprenais mon erreur.

Dominic prit cet air ravi qui illumine son visage quand on complimente sa cuisine, puis il s’installa sur le fauteuil et attendit en silence que je finisse de manger. Ce qui ne me prit pas longtemps.

— Serait-ce terriblement grossier de ma part de lécher le bol ? demandai-je dans l’intention de le faire encore sourire.

Mon souhait fut exaucé.

— Tu n’as pas besoin d’en arriver à de telles extrémités. Il y a du rab.

Je tapotai mon ventre plein.

— J’aimerais beaucoup passer le reste de l’après-midi à me remplir la panse, mais il faut que je fasse attention à ma silhouette.

Ce qui me valut un autre sourire.

Dominic s’approcha pour prendre le plateau. Même si j’aurais aime le laisser partir sur cette note agréable, j’en fus incapable.

— Alors tu vas me dire ce qui s’est passé entre Adam et toi ? demandai-je.

Le sourire disparut et ses épaules s’affaissèrent. Si je lisais correctement son expression, il envisageait sérieusement de sortir sans me répondre. Je ne suis pas certaine que je lui en aurais voulu, mais il n’est pas aussi enclin que moi à fuir le conflit. Il reposa le plateau et revint s’asseoir dans le fauteuil.

— Il m’a tout dit, déclara Dominic. À propos de Saul et de ce qu’il fait aux 7 Péchés Capitaux.

Je grimaçai. Trop d’honnêteté ne paie pas toujours. J’aurais aimé qu’Adam garde le second aveu pour lui, du moins jusqu’à ce que nous ayons trouvé un autre hôte pour Saul… quelle que soit la méthode choisie.

— Tu as pris une décision ? demandai-je en retenant mon souffle dans l’attente de la réponse de Dominic.

Il acquiesça.

— Oui, en fait, j’en suis arrivé à un certain nombre de conclusions. (Il commença à compter sur ses doigts.) Premièrement, Adam est un con.

Je ne pus retenir un ricanement. Je m’en serais voulu si le coin de la bouche de Dom ne s’était pas légèrement relevé.

— Deuxièmement, c’est un con qui n’est pas sûr de lui. Et troisièmement, je suis un misérable salopard de ne pas l’avoir aussitôt rassuré en lui avouant que je ne voulais pas redevenir l’hôte de Saul.

Pour des raisons auxquelles je ne souhaitais pas réfléchir, je me levai de ma chaise et allai étreindre Dominic rapidement et maladroitement.

— Je suis d’accord avec toi en ce qui concerne ton jugement sur Adam, mais si tu es un misérable salopard, alors je suis mademoiselle Rose-de-velours.

Il éclata de rire et se détendit de manière visible.

— Merci pour ton soutien. Mais j’ai vraiment été très méchant envers Adam. J’aurais aimé qu’il ait assez confiance en moi pour me raconter ce qu’il faisait aux 7 Péchés Capitaux depuis le début, mais je comprends pourquoi il n’a pas osé.

— Et tu lui as déjà dit que tu n’allais pas reprendre Saul ?

Il secoua la tête.

— J’étais trop occupé à ruminer et maintenant il est parti discuter avec un démon hostile qui habite un superhôte susceptible d’avoir des pouvoirs que nous ne connaissons même pas. Je me sens comme une merde.

— Je suis sûre que tout va bien se passer, dis-je en le pensant sincèrement.

Il était difficile d’imaginer Adam se fourrer dans des ennuis qu’il ne saurait gérer. Je le surestimais sans doute, mais j’avais tendance à penser que l’alliance de la compétence et de l’assurance le rendait presque invulnérable.

— Tu as une idée de l’endroit où il est allé ?

Je secouai la tête.

— Non. Pourquoi ?

Dom pinça les lèvres, les yeux étrécis par la douleur.

— Parce que je m’inquiète pour lui. Je l’ai blessé et je crains que cela le distraie, qu’il ait des ennuis à cause de moi…

Je pensai comprendre ce que Dominic essayait de me dire, même s’il ne l’exprimait pas explicitement.

— Tu veux que j’aille le chercher ?

Son sourire illumina son visage.

— Tu le ferais ? Il a coupé son téléphone et je ne sais pas comment le joindre. Je veux être sûr qu’il sache que je reste avant d’affronter Tommy.

Je faillis le prendre au mot sans réfléchir, mais il m’arrive de penser aux conséquences de mes actes.

— Tu sais qu’il va t’en vouloir de m’avoir laissé partir.

Le sourire de Dom s’élargit.

— Tu crois que j’ai peur de lui ? Ce ne serait pas la première fois que je l’énerverais et ce ne sera pas non plus la dernière. (Il se reprit et m’adressa un regard sérieux.) Parfois il a du mal à comprendre que les gens ont le droit de prendre des décisions par eux-mêmes, même s’il n’aime pas leurs décisions.

J’eus le sentiment qu’il parlait d’autre chose que ma situation. Adam avait-il essayé de forcer Dom à ne pas reprendre Saul ? Ce qui expliquerait pourquoi Dom ne s’était pas empressé de le rassurer.

— Très bien, dis-je. Je vais voir si je peux trouver Adam et m’assurer qu’il a la tête à ce qu’il fait. Mais d’abord tu dois me parler de cet œil au beurre noir.

Je le croyais quand il me disait qu’Adam ne l’avait pas fait exprès mais, étant donné qu’ils s’étaient apparemment disputés, je devais connaître les circonstances avant de m’approcher d’Adam sans avoir envie de le tuer.

— Vous vous êtes battus ?

Dom était apparemment fasciné par ses mains.

— Nous nous battions pour de faux, même si on aurait dû savoir que ce n’était pas une bonne idée. On ne s’amuse pas à des jeux SM quand on est en colère. Du moins, on ne devrait pas. (Je dus avoir l’air horrifié parce qu’il s’empressa de me rassurer.) Nous ne nous battions pas à coups de poing, nous chahutions. Bien sûr, je n’ai aucune chance de gagner à la lutte contre un démon, alors habituellement je ne force pas trop. Mais j’étais en colère et je me suis battu plus violemment que d’habitude et je suis parvenu à me délivrer de l’étreinte d’Adam. (Un sourire ironique tordit ses lèvres.) J’ai été autant surpris que lui et j’ai perdu l’équilibre. Tu as déjà vu le lit de notre chambre ?

Oui, je l’avais vu. C’était un impressionnant lit king size en fer forgé qui semblait assez lourd pour traverser le plancher.

— J’ai foncé dedans la tête la première. Adam a réussi à me rattraper, sinon le résultat aurait été bien pire.

S’il s’était agi de quelqu’un d’autre, j’aurais pensé que cette histoire était l’équivalent du « je me suis cognée contre la porte » qui est le refrain des femmes battues du monde entier. Mais je crus Dominic. Ce qui signifiait que je pouvais partir à la recherche d’Adam sans avoir envie de le tuer.

Je ne savais pas ce qui empêcherait Adam de me ramener en me traînant dans ma petite cellule civilisée dès l’instant où je le trouverais, mais il serait bien temps de m’en inquiéter le moment venu. Je souris à Dom pour lui faire savoir que je croyais son histoire.

— Tu sais où Adam a planqué mon Taser quand il l’a confisqué ?

— Non, mais je suis sûr qu’on peut le retrouver.

Ramassant le plateau, il me précéda pour sortir de ma cellule.

 

Je ne peux vous dire à quel point je fus soulagée de quitter cette maison, bien que j’aie un peu eu l’impression de m’être échappée sous de faux prétextes. J’avais promis à Dominic que je chercherais Adam sans grand espoir de réussite. Philadelphie est une grande ville et je n’avais aucune idée de l’endroit où Adam était allé. Naturellement, je m’arrêtai à l’adresse de Tommy mais il n’y avait personne, pas même son colocataire visqueux. J’essayai ensuite d’appeler au bureau d’Adam, même si je doutais qu’il soit retourné officiellement au travail un jour de congé maladie. J’avais raison.

Mis à part aux 7 Péchés Capitaux, je ne voyais pas où Tommy pouvait traîner. Il était maintenant 15 heures et le club n’ouvrirait pas avant 21 heures. J’essayai le téléphone portable d’Adam en espérant qu’il l’ait rallumé depuis le dernier appel de Dom. Pas de réponse. J’essayai même d’appeler Claudia, mais elle était en réunion – pas avec Adam, car je posai la question – et on ne pouvait pas la déranger. Je refusai de laisser un message. J’étais certaine que les kidnappeurs lui avaient ordonné de vivre sa journée comme si tout allait bien, mais j’espérais que le fait qu’elle soit en réunion signifiait que les fillettes étaient encore vivantes.

Il était presque 17 heures quand je m’admis ma défaite. Jusqu’à l’ouverture des 7 Péchés Capitaux, je n’avais aucune idée de l’endroit où trouver Adam. J’appelai Dom pour l’informer que je retournai à mon appartement et il me confirma qu’Adam n’avait répondu à aucun de ses appels. L’inquiétude dans la voix de Dom était contagieuse, mais aucun de nous ne trouva une idée brillante. Je donnai à Dom l’ordre de me rappeler s’il avait des nouvelles d’Adam, puis je pris le chemin de la maison.

Ma journée ne s’arrangea pas quand je découvris qu’une journaliste du Philadelphia Inquirer campait dans le hall de mon immeuble. Pas la journaliste qui m’avait appelée mais, dès que la femme sauta hors de son fauteuil pour se diriger à grands pas vers moi, je la reconnus tout de suite comme étant une journaliste… sans doute à cause de l’odeur de soufre qui émanait d’elle.

Si je me mettais à courir vers l’ascenseur, est-ce que les portes se refermeraient avant qu’elle me rattrape ? Avec la chance que j’avais, on pouvait être sûr d’un grand « non ». Aussi je me tournai vers elle, les poings sur les hanches, mon langage corporel clamant « défense d’approcher ».

Impossible qu’elle n’ait pas compris le message, mais je suppose que les journalistes ont pour habitude de ne pas tenir compte de l’hostilité, car elle vint droit sur moi en me tendant la main.

— Vous devez être Morgane Kingsley, dit-elle avec un sourire poli. Je suis Barbara…

Mon sourire était tellement figé que mes lèvres auraient pu tailler du diamant.

— Je me fiche de qui vous êtes. Je n’ai pas de commentaire à faire et je voudrais que vous me laissiez tranquille.

Elle arqua ses sourcils bien dessinés avant de me présenter une carte de presse. Je l’ignorai et me tournai vers les ascenseurs. Barbara Je-ne-sais-quoi suivit, ses escarpins noirs cliquant sur le sol alors qu’elle essayait de me rattraper. Naturellement, les deux ascenseurs se trouvaient presque au dernier étage de l’immeuble. J’appuyai sur le bouton d’appel avec plus de force que nécessaire.

— Vous savez, dit Barbara en s’installant pour patienter à côté de moi, je suis du Philadelphia Inquirer, pas du National Inquirer. Il n’y a aucune raison d’être nerveuse.

J’essayai de faire comme si elle n’était pas là. Avec toutes les merdes qui m’arrivaient dans la vie, j’aurais pu espérer que le destin cesse de s’acharner sur moi de temps en temps ! Mais non, pourquoi une telle chose arriverait ?

— Vous n’avez aucun commentaire à faire sur la mort de Jordan Maguire Junior ?

Je regardai les loupiotes clignotantes au-dessus des ascenseurs en regrettant que ces fichues machines soient quasiment vieilles d’un siècle et lentes comme des tortues.

La journaliste Barbie ne se laissait pas démonter.

— Et concernant les menaces de Jordan Maguire Sr d’intenter un procès ?

Je clignai des yeux. C’était la première fois que j’en entendais parler et je grognai intérieurement. Juste ce dont j’avais besoin : encore plus d’ennuis. Un des ascenseurs était encore au vingtième étage, mais l’autre cheminait tranquillement vers nous. Quinze, quatorze, douze – parce que ce vieil immeuble ne comportait pas de treizième étage – onze, dix… Et là, la fichue machine s’arrêta et je faillis hurler de rage.

— Y a-t-il quelque chose que vous feriez différemment si vous aviez la possibilité de revenir en arrière ? continua Barbie comme si je répondais à ses questions depuis le début.

L’ascenseur resta bloqué au dixième étage et je décidai que c’en était assez. Je revins dans le hall et attirai l’attention du portier. Ce grand Noir, bâti comme un linebacker, est un de ces doux géants qui ne feraient pas de mal à une mouche. J’avais assez discuté avec lui pour savoir que c’était un artiste qui crevait la dalle et qui était portier pour pouvoir poursuivre sa carrière de peintre. Mais Barbie ne savait rien de tout cela.

— Hé, Mike, dis-je avec un grand sourire. Est-ce que par hasard vous pourriez m’aider à me débarrasser d’une visiteuse indésirable ?

Et je désignai Barbie du pouce. Mike me rendit mon sourire.

— Bien sûr, dit-il avant de se tourner vers Barbie. (Son sourire fit alors place à une expression de politesse neutre.) Madame, vous vous trouvez dans un immeuble privé. J’ai bien peur d’avoir à vous demander de sortir.

Prenant note de laisser un pourboire généreux à Mike plus tard, je pivotai de nouveau vers les ascenseurs. Barbie se mit à protester mais Mike resta ferme. Je soupirai de soulagement quand les portes de l’ascenseur se refermèrent derrière moi. Je fus un peu moins soulagée quand je me rappelai la menace de mort qui avait été laissée la veille sur mon répondeur. J’étais ravie de savoir que le monde entier en voulait à ma peau !

Je m’attendais à moitié à une autre menace de mort une fois de retour dans mon appartement. Le fait qu’il n’y ait pas de messages me rendit presque joyeuse. Ouais, drôle de vie que la mienne.

Je me préparai à dîner, si on peut appeler ça un dîner, un bagel surgelé toasté et des céréales. Je n’avais pas vraiment eu le temps de faire des courses ces derniers jours. Puis je passai le reste de la soirée à appeler alternativement le téléphone portable d’Adam et celui de Dom. Je décidai de ne pas téléphoner à Brian. Il pensait que j’étais en sécurité, enfermée dans la maison d’Adam, et il considérerait sûrement comme son devoir de chevalier à l’armure scintillante de venir me protéger s’il me savait seule. J’ai du mal à accepter de l’aide même quand j’en ai besoin. De toute façon, je ne pensais pas que les méchants allaient débouler dans mon immeuble. Ils pouvaient passer la sécurité s’ils le voulaient – de toute évidence, ils l’avaient déjà fait une fois – mais il faudrait encore qu’ils passent ma porte. Je gardai quand même mon Taser dans ma poche.

Je commençais vraiment à être énervée après Adam. S’il avait des ennuis, je me sentirais coupable ensuite, mais je supposais qu’il était probablement en train de bouder à propos de sa petite prise de bec avec Dom. Je ne pensais pas que des membres du Conseil puissent être autorisés à bouder. Sauf moi, bien sûr. Je pouvais bouder autant que je voulais.

Comme je n’avais toujours pas de nouvelles d’Adam à 21 heures, je décidai qu’il était temps pour moi de faire une nouvelle apparition aux 7 Péchés Capitaux. À moins qu’il ait des ennuis, il serait là-bas à surveiller l’endroit à la recherche de Tommy. Nous n’avions pas vraiment discuté de ce qu’il ferait quand il le trouverait, mais j’étais certaine que ce dernier n’apprécierait pas cette rencontre.

Cette fois-ci, je ne pris pas vraiment soin de me fondre dans la foule. J’enfilai un jean et une chemise blanche unie. La seule concession que je fis pour m’accorder à la clientèle des 7 Péchés Capitaux fut une boucle d’oreille en forme de crâne et d’os dont les orbites étaient décorées de véritables rubis. Brian me l’avait offerte un peu sur le mode de la plaisanterie, bien qu’elle paraisse trop coûteuse pour être reléguée dans le tiroir à breloques. Je parai les trous restants de mes oreilles de clous dorés et argentés puis je me contemplai dans le miroir de la salle de bains en essayant de me convaincre que j’étais prête.

Je n’étais pas prête et je le savais. Mais excepté me laver les mains de toute cette affaire, je n’avais pas d’autre option, ce qui signifiait donc que je devais y aller.

Ne m’étant pas encore occupée de mon pneu à plat, je dus appeler un taxi pour me rendre sur South Street. Il était 22 heures passées quand je pris le chemin du club. Il était encore assez tôt pour le monde des boîtes de nuit du vendredi soif, mais il valait mieux que j’arrive là-bas avant que l’endroit soit bondé de démons et de leurs groupies. M’assurant que le chauffeur ne pouvait pas me voir de l’autre côté de la séparation, j’ouvris mon sac à main et le rangeai afin que le Taser se retrouve isolé dans un compartiment. Il était plus facile à atteindre de cette manière. Toutes les autres poches, pleines à craquer, formaient des bosses inélégantes, mais bon.

Dès que je fermai mon sac, mon téléphone sonna. Super. Il était enterré au fond maintenant. Je plongeai la main dans mon fourbi en me rappelant qu’il faudrait que je prenne le temps de faire le tri dans mon sac un de ces jours. J’attrapai enfin mon téléphone et il ne me restait que quelques secondes avant que l’appel bascule sur ma messagerie. Je répondis juste à temps sans avoir l’occasion de vérifier le numéro.

— Allô ?

— Dominic me dit que tu n’es plus là où je t’ai laissée, dit Adam.

Je me hérissai aussitôt mais je ne peux nier que j’étais soulagée. J’étais contente qu’Adam ne me voie pas. J’avais le sentiment que je n’aurais pas fini d’en entendre parler s’il avait su que je m’étais inquiétée pour lui.

Quand on est mal à l’aise, mieux vaut se mettre en colère, c’est ma devise. Avec Adam, ça n’était jamais difficile à mettre à exécution.

— Putain, tu étais où ? demandai-je trop fort.

Le chauffeur me jeta un coup d’œil dans le rétroviseur. Comme 90 % des chauffeurs de taxi de Philadelphie, celui-ci n’était pas né dans ces bons vieux États-Unis. D’après son visage, il était né dans un pays où on coupait la langue des femmes si un mot aussi vilain sortait de leur bouche. Je parlai plus bas et me fis le serment de surveiller mon langage.

— Dom et moi n’avons pas arrêté d’essayer de te joindre depuis des heures !

— C’est ce que j’ai cru comprendre. Disons que j’avais besoin d’un peu de temps tout seul.

— Pendant que ces fillettes…

Je m’arrêtai avant de finir ma phrase. Le chauffeur écoutait apparemment. Il valait mieux que je sois un chouïa plus discrète.

— J’étais en train d’expliquer pourquoi j’ai dû éteindre mon téléphone, gronda Adam. Je ne suis pas en train de dire que je me suis contemplé le nombril. J’ai, en ce moment, un de nos amis inconscient sur la banquette arrière de ma voiture.

— Oh.

La bonne nouvelle, c’était que je n’allais pas devoir retourner aux 7 Péchés Capitaux. La mauvaise nouvelle… Eh bien, je ne savais pas encore en quoi consistait la mauvaise nouvelle. Tout ce que je savais, c’est qu’il y en aurait de sérieuses bientôt.

— Comment c’est arrivé ? demandai-je.

Les démons ne sont pas sujets aux vapeurs.

— Il a un peu trop bu.

— Oh, fis-je de nouveau.

Quelle interlocutrice intelligente je faisais ! Les démons sont autant capables que les humains d’être saouls, bien qu’habituellement ils métabolisent l’alcool plus rapidement. Leur état d’ivresse dure alors moins longtemps. Cela me semblait pourtant très imprudent de la part de Tommy, surtout s’il avait eu des soupçons concernant l’enquête que menait Adam.

— Je l’ai un peu aidé, expliqua Adam. Nous sommes sur le chemin de la maison. J’ai pensé que tu souhaiterais nous y retrouver.

Non, je voulais dire au chauffeur de faire demi-tour et de me ramener chez moi. Mais ce serait irresponsable de ma part. Je m’intimai sévèrement de ne pas penser à ce qui arriverait à Tommy quand les gouttes que lui avait fait ingurgiter Adam ne feraient plus effet. Ça n’allait pas être beau.

— Je suppose que je n’ai pas le choix, dis-je.

Je n’avais pas voulu m’exprimer à voix haute.

— En effet. Nous pourrions avoir besoin de Lugh.

Je fermai les yeux pendant une seconde, me demandant pour quelle raison Adam pensait que nous aurions besoin de Lugh. Pour exorciser le démon de Tommy ? Il était fort possible que le démon qui avait pris Tommy soit trop puissant pour que ni Adam ni moi ne puissions l’exorciser. Mais ce n’était pas ce à quoi Adam pensait. Nous aurions besoin du Nom véritable de Saul si nous voulions l’appeler et les seules personnes à le connaître étaient sa famille proche… et son roi.

— J’arrive bientôt, lui répondis-je.

Je raccrochai brutalement parce que je ne voulais pas qu’Adam perçoive quoi que ce soit de suspect dans ma voix. Puis je donnai l’adresse de Raphael au chauffeur et je rassemblai tout mon courage pour un coup de fil très éprouvant.

Confiance Aveugle
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